L'éclipse totale de Soleil du 29 mars 2006 :
un soleil noir au-dessus de la Méditerranée

Récit, photos, vidéos : Sylvain Rivaud,
Association Planète Sciences / Société Astronomique de France

Accompagné de Cédric Courson, Aurélien Vernet et Iara Dos Santos,
Association Planète Sciences


L'éclipse totale du 29 mars 2006 depuis la Turquie - Cliché : Cédric Courson
Canon EOS 300D + obj. Tamron 28-300 mm + doubleur (pose de 1/80è de sec. à 6.3 / équivalent 400 ISO).

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L'éclipse du 29 mars 2006 vue comme partielle au lac de Vassivière (France).
Cliché : Jean-François Tribot (ANPCN 86).

Partielle en France (mais à moins de 50 %, rien de bien spectaculaire), cette éclipse était totale au dessus de l'Afrique du Nord (Ghana, Togo, Nigéria, Niger, Libye, extrême nord-ouest de l'Egypte), au dessus de la Turquie, et du Kahazakstan. Si les statistiques météo privilégiaient largement le Niger et la Libye (près de 80 % de chances de ciel clair), d'évidentes raisons financières et pratiques nous ont fait choisir la Turquie (60 % de chances de ciel clair), d'autant plus que la bande de totalité traversait une région très touristique où une quantité de voyages "discount" permettaient d'envisager un déplacement à moindre frais. C'est ce que nous avons fais, notre équipe de 4 membres de l'association Planètes Sciences ayant au final déboursés moins de 500 euros chacun pour une bonne semaine de rigolade, avec une éclipse totale de Soleil en prime !

Le voyage à Madrid pour l'éclipse annulaire du 3 octobre 2005 (que nous avions déjà vu ensemble) avait été une excellente préparation à cette nouvelle expédition. Comme à notre habitude, nous retrouvons de nombreux autres astronomes amateurs français à l'aéroport et dans l'avion, la plupart ayant opté pour la même solution que nous : vol charter au départ de Paris et hôtel pendant une semaine, avec l'espoir de pouvoir louer une voiture sur place pour éviter de devoir rester à l'hôtel tout au long du séjour ! Par chance, dès le lendemain de notre arrivée nous louons la dernière voiture disponible depuis notre hôtel, situé au bord des plages rectilignes à l'est de la ville d'Antalya, entre Serik et Side. Bien que situé sur la ligne de centralité de l'éclipse, nous décidons de quitter celui-ci le jour même pour rejoindre le site d'observation répéré quelque mois plus tôt sur de nombreuses cartes de la région et sur Google Earth : la presqu'île située à l'extrême sud de la région d'Antalya, entre la ville de Kumluca et le site archéologique d'Olympos. Il s'agit d'une des premières portions du territoire turc à être plonger dans l'ombre de la Lune ce 29 mars 2006, pour un durée de 3 minutes et 45 secondes (soit seulement 20 secondes de moins que le maximum, situé au sud de la Libye). Les cartes de Google Earth nous rassurent dans ce choix en montrant une presqu'île surelevée de plusieurs centaines de mètres, probablement accessible en voiture puis à pied selon quelques rumeurs récoltées avant départ. L'occasion d'observer l'éclipse sur un point surelevé, au-dessus de la mer, avec un horizon sud, est et ouest parfaitement dégagé. Nous ne le regretterons effectivement pas.


Notre site d'observation de l'éclipse en Turquie (carte : © Fred Espenak).

Après trois heures de route via Antalya, Kemer puis Kumluca, nous arrivons finalement dans la petite ville de Finike pour faire étape sur place et passer la nuit précédent l'éclipse. Le ciel est parfaitement dégagé, l'éclipse s'annonce superbe. Nous passons la soirée à paufiner les réglages des instruments : collimation du télescope Newton de 150 mm de Iara (pour l'observation visuelle), tests de la monture équatoriale d'Aurélien, vérification du montage pour l'éclipse (le Canon 300D de Cédric avec son téléobjectif Tamron 300 mm + mon doubleur de focale, le Nikon FE10 d'Aurélien et son téléobjectif de 300 mm, et mon ETX 90 en visuel). Malgré quelques incertitudes sur le montage final pour l'éclipse, nous nous couchons sereinement, pour nous lever quelques heures plus tard à l'aube, vers 6 h 30.


Vérification du matériel à l'hôtel à Finike, la veille de l'éclipse (à la lumière des lampadaires !)...

Comme prévu, le ciel est parfaitement dégagé : aucun nuage à l'horizon. Nous nous dirigeons vers la pointe repérée initialement sur nos cartes, sans savoir très précisément comme y aller ! Par chance, les routes sont peu nombreuses et nous nous engageons vers la bonne direction. Plus tard, un chauffeur de camion nous indiquera la route à suivre (malgré la barrière de la langue), puis quelques paysans chaleureux qui nous feront comprendre qu'on doit s'engager quelque temps sur une piste de terre avant de retrouver la route qui mène jusqu'à la pointe. Finalement, nous arrivons vers 9 h 00 en vue d'une grande clairière transformée en parking pour l'occasion, gardée par un agent de l'office de tourisme de la région, à l'anglais impeccable. Nous nous garons sur place et continuons notre expédition à pied, le gardien nous confirmant qu'on peut grimper à pied jusqu'à un point de vue situé à plus de 200 mètres au-dessus de la mer. Le transport du matériel est pénible, et la pente forte. La chaleur commence également à se faire sentir, malgré la présence de la mer et de la forêt aux alentours. Sur le chemin, nous croisons un lyonnais venu en Turquie via Istanbul, et qui bourlingue dans le pays depuis trois semaines en prenant le bus et en faisant du stop. Nous croisons également une équipe d'américains très bien équipés, postés au-dessus d'une superbe crique à l'ouest de la pointe. L'un d'eux possède une lunette Coronado PST qui nous permet de découvrir les protubérances du jour sur le pourtour du Soleil, que nous verrons à l'oeil nu pendant la totalité quelques heures plus tard.


Rencontres sur le chemin du site d'observation... Quelques américains sont déjà prêts pour l'éclipse.

Environ 40 minutes plus tard, nous arrivons en vue d'un phare au pied duquel ont déjà pris place quelques dizaines de touristes (des allemands, des français, quelques turcs venus pour l'événement) tandis que quelques autochtones préparent déjà des galettes pour ravitailler tout ce monde à l'occasion de ces festivités ! Préférant la tranquilité à cette (modeste) agitation, nous continuons encore plus loin pour finalement poser nos instruments une centaine de mètres plus haut, sur quelques rochers dominant le phare et le panorama entourant la presqu'île. Malgré le vent (qui se fera sentir surtout après la totalité), nous parvenons à installer solidement les instruments. La vue est superbe : à l'est, la mer s'étend vers la baie d'Antalya. Au sud, trois petites îles émergent de la mer, tandis qu'à l'ouest, derrière Finike, nous apercevons d'immenses montagnes enneigées dont les plus hauts sommets atteignent 2500 mètres ! A quelques mètres de nos trépieds se trouve une falaise qui surplombe la mer : gare où on met les pieds !


Notre site d'observation domine les îles situées au sud de la pointe. Cédric est content !
A droite (vue vers l'ouest), les montagnes enneigées situées loin derrière Finike sont bien visibles.


Montage express des instruments par Cédric : l'éclipse a commencé !
Le Newton de Iara (dédicacé par ses proches) attends quant à lui la totalité... c'est son baptême !

Le montage des instruments et la mise en station de la monture prennent plus de temps que prévu. Le premier contact commence alors même que tout en encore en cours de montage et d'équilibrage ! Qu'importe, du moment que tout soit opérationnel pour la totalité. Nous suivons la progression de la Lune devant le Soleil grâce à l'ETX 90 (équipé d'un filtre en verre inauguré à Madrid), et à l'oeil nu avec des lunettes éclipses. Quelques problèmes techniques rendent l'atmosphère très tendue : la monture d'Aurélien suit mal, il faut mieux équilibrer l'ensemble. Cédric et Aurélien s'attèlent à ce casse-tête de dernière minute. Pendant ce temps, la Lune avance, et petit à petit la luminosité décline. A moins d'une demi-heure de la phase totale, l'atmosphère est déjà curieuse : la mer est plus sombre et les ombres plus constrastées. Une inquiétude arrive à l'ouest : quelques cirrus arrivent dangeureusement sur nous. Pas possible de bouger de toute façon, nous attendons la totalité. Je mets à nouveau en garde Aurélien et Iara (qui n'ont jamais vu de "totale") sur l'éventualité qu'ils perdent les pédales pendant l'éclipse et zappent leur programme photo ou trébuchent sur les rochers. La luminosité baisse de plus en plus vite. A moins de dix minutes de la totalité, Vénus apparaît dans le ciel, parfaitement visible au-dessus de l'horizon ouest. Cédric et Aurélien finissent leurs derniers réglages tandis que les cirrus apparus plus tôt commencent à passer devant le Soleil, sans toutefois nous inquiéter outre mesure. La lumière baisse désormais à vue d'oeil. Au loin, l'horizon sud-ouest est très sombre. A quelques secondes de la phase totale, Cédric nous fait remarquer l'avancée sur la mer et les nuages d'une énorme masse sombre difficilement distinguable, qui semble engloutir l'horizon : l'ombre de la Lune. A peine le temps de relever la tête que le Soleil s'incline et les grains de Baily apparaissent sur la bord gauche de la Lune.

Baisse de luminosité de l'éclipse de 2006 en Turquie
Baisse de la luminosité sur les dix minutes précédent la phase totale.
- Clichés : Canon EOS 300D + objectif 18mm (pose : 1/200ème avant la totalité, 1 seconde pendant la totalité) - Mosaïque de 3 images à chaque fois -


L'éclipse totale (Canon EOS 300D + obj. Tamron 28-300 mm + doubleur) - Clichés : Cédric Courson
A gauche : pose de 1/400è de sec. à 6.3 / 400 ISO. A droite : pose de 1/1600è de sec. à 6.3 / 400 ISO.

Photo d'ambiance de l'éclipse de 2006 en Turquie
Photo d'ambiance de l'éclipse totale au-dessus de la mer Méditerranée. En contrebas, le phare est allumé.

Photo d'ambiance de l'éclipse de 2006 en Turquie
Panorama de la vue pendant la totalité. A droite, au-dessus de l'horizon ouest, on aperçoit Vénus entre deux nuages...

La totalité survient vers 12 h 56 (heure locale) et nous surprend par la rapidité avec laquelle la nuit fond sur nous. Les clameurs des autres observateurs nous parviennent en contrebas de notre site d'observation, au moment où le phare s'allume : sa lampe puissante balaiera l'horizon pendant toute la durée de la totalité ! Le vent se lève à l'ouest, faisant légèrement trembler la monture équatoriale : Cédric se met debout devant son appareil pour minimiser les vibrations et commence une série de clichés à l'aveuglette, après avoir enlevé le filtre solaire et pris soin de vérifier la mise au point. Quelques cirrus passent devant le spectacle pendant les premières secondes, me rappelant l'aspect de la couronne solaire à travers les nuages un certain 11 août 1999... Mais rapidement, ils s'éloignent pour laisser place à la couronne dans toute sa splendeur, d'un aspect ovale et asymétrique caractéristique du minimum solaire. Aurélien est impressionné par la vision de l'éclipse à travers ses jumelles de théâtre (les seules dont nous disposions !) tandis que je capture l'ambiance avec mon APN. Iara m'invite à jeter un oeil dans son Newton : l'éclipse est splendide, les protubérances et la basse couronne y sont très détaillées. Dans l'ETX, moins lumineux mais plus piqué, j'admire l'autre côté de la Lune : déjà, les protubérances opposées y sont visibles et l'apparition progressive de la chromosphère signale la fin de la totalité. Nous levons tous les yeux une dernière fois pour admirer le "diamant" de la fin de la totalité : la lumière revient aussi vite qu'elle avait disparu. Le vent, en revanche, souffle de plus en plus fort : la faute à un changement brusque de température dans l'atmosphère après le passage de l'ombre de la Lune. Celui-ci soufflera encore dru pendant toute l'heure qui suivra la phase totale ! Tout de suite, Iara s'exclame de joie et demande où sera visible la prochaine éclipse totale !


Après la totalité : le vent souffle, les nuages s'accumulent, mais la tension a disparu !

Après la totalité, c'est le soulagement ! Mais la tension prends du temps à retomber et nous devons oublier les instruments un moment pour partager nos impressions et nous remettre de nos émotions (une petite clope pour certains d'entre nous !). Le vent redouble et la froid arrive : les pulls s'imposent. Le Soleil est caché à plusieurs reprises par d'épais nuages gris, laissant entrevoir par intermittence le croissant solaire à travers les nuages, me rappelant encore une fois l'éclipse française de 1999. Nous regardons les photos de la totalité sur l'appareil photo numérique de Cédric : certaines sont floues (la cause au vent violent qui a fait bougé la monture), mais d'autres sont belles et nettes, notamment le diamant de fin. Mission accomplie ! Pour ma part, je regarde les quelques vidéos de la phase totale capturées avec mon Nikon Coolpix 885 (sans le son, malheureusement) qui montrent la baisse de luminosité dans les trentes dernières secondes avant la totalité : impressionnant ! Mais le temps tourne à la grisaille et nous craignons la pluie : nous remballons le matériel tandis que l'éclipse tire à sa fin (la seconde phase partielle est passée très vite !). Nous pique-niquons finalement en contrebas, sous les arbres, pour rejoindre notre hôtel à Finike en fin d'après-midi, après que Cédric ait piqué une tête dans la mer ! Nous nous couchons épuisés en début de soirée, afin de nous lever tôt le lendemain pour profiter d'une nouvelle journée d'exploration de la côte de Lycie, entre Finike et Kas. Nous ne retrouverons finalement notre hôtel initial que le jeudi soir, après une balade au coeur des ruines d'Olympos (un site très romantique) et fait griller du pain auprès des feux follets situés un peu plus haut, fruit du déagazage d'une nappe de méthane située en sous-sol.


Visite du site d'Olympos le lendemain de l'éclipse
Après l'effort, le réconfort : grille-pains naturels pour tartines de Nutella en pleine nuit !

Le vendredi, dernier jour de disponibilité de la voiture, nous visitons le superbe théâtre antique d'Aspendos (le mieux conservée d'Asie Mineure), puis les chutes de Manavgat (un peu décevantes compte-rendu du prix d'entrée au parc, surtout rempli de stands à touristes). Les deux derniers jours de notre séjour (à l'hôtel exclusivement) se résumeront à quelques mots : dodo, piscine, plage, sauna, hammam, et tentatives de prises de vues astronomiques sur le bord de la mer (pour la plupart avortées à cause d'une trop grande pollution lumineuse). Reste l'excellent souvenir de nos pérégrinations des jours précédents, en toute liberté et un peu en dehors des sentiers battus, et surtout de cette éclipse observée depuis un point de vue exceptionnel que nous ne sommes pas prêts d'oublier ! Déjà, nous réfléchissons à un voyage en Asie centrale pour l'éclipse totale de 2008, probablement en Mongolie via le transibérien et quelques jours de chevauchée... Le projet prends forme dans nos esprits. "Wait and see"... dans deux ans.

Sylvain Rivaud, 30 avril 2006.


Les chutes de Manavgat : un peu trop touristique à notre goût...

Les autres photos de l'éclipse !


Chapelet de l'éclipse en Turquie par Boris Nizic.
Boris (un ami qui était dans le même hôtel que nous) est un spécialiste des chapelets d'éclipse.
C'était pour lui sa troisième éclipse totale (comme moi), et son second chapelet du genre. Chapeau !
Plus d'images sur son site en cliquant ici.


L'éclipse totale du 29 mars 2006 depuis la Libye.
Cliché & traitement : Jean-Luc Dauvergne.


L'éclipse en Libye par Jean-Luc Dauvergne.
En bas à droite du Soleil, on aperçoit Mercure puis Vénus.


L'éclipse au Niger par Philippe Morel (Société Astronomique de France).


L'éclipse à Side (Turquie) par Laurent Laveder (ambiance) et Micheal Schmidt (gros plan).


La couronne solaire du 29 mars 2006 par Christian Viladrich (en Egypte).
Image prise avec une caméra CCD au foyer d'un lunette FSQ 106 mm (cliquez pour voir l'image en pleine résolution).
Pour plus de détails, allez sur le site de C. Viladrich.

Les prochaines éclipses de Soleil (en 2006 et 2007)

Si l'éclipse du 1er août 2008 est la prochaine totale après celle de 2006, quatre éclipses de Soleil auront lieu entre temps, dont deux annulaires :

  • Le 22 septembre 2006, une éclipse annulaire sera visible au petit matin en Guyane Française (et oui !), observable depuis le centre spatial ! Avec une phase annulaire de 5 minutes et 40 secondes à une hauteur de 7° dans le ciel guyanais, le spectacle promet d'être sympathique, d'autant plus que la météo peu s'avérer clémente (le ciel est souvent brumeux mais rarement couvert : 65 % de chances de voir l'éclipse). Carte précise de l'éclipse en Guyane ici / Cliquez ici pour plus de détails météorologiques.
  • Le 19 mars 2007, une éclipse partielle aura lieu au-dessus du continent asiatique (de l'Iran jusqu'à l'extrême ouest du Japon). A Novosibirsk en Russie, le Soleil sera éclipsé à 81 %, tandis que l'éclipse sera partielle jusqu'à 40 % à Pékin.
  • Le 11 septembre 2007, une nouvelle éclipse partielle aura lieu mais dans l'hémisphère sud cette fois-ci, au-dessus de l'Amérique du Sud et d'une partie de l'Antarctique. Le meilleur endroit pour voir l'éclipse sera le Cap Horn et la région de Punta Arenas à l'extrême sud du Chili : 71 % de Soleil éclipsé. A Buenos Aires, l'éclipse sera partielle à 52 % tandis qu'à Rio de Janeiro on verra 24 % de Soleil éclipsé.
  • Enfin, une éclipse annulaire aura lieu le 7 février 2008, au-dessus du Pacifique sud et de l'Antarctique. La maximum a lieu en pleine mer, pour une phase annulaire d'une durée de 2 minutes et 11 secondes. Si l'éclipse annulaire ne survole aucune région habitée, on pourra tout de même voir une belle éclipse partielle de 63 % à Wellington en Nouvelle-Zélande, et de 22 % à Sydney en Australie.
  • Où se produiront les prochaines éclipses totales ?
    Une page ilustrée de nombreuses cartes, avec des conseils pour choisir sa destination...