Témoignage : les éclipses totales de Soleil du 3 novembre 1994 sur l'altiplano Bolivien, du 24 octobre 1995 en Inde et du 11 août 1999 en France
par Christophe LANIER, auteur du livre "Les éclipses, mythes et symboles", aux éditions de l'Adret.

MORT DU SOLEIL DANS LES ANDES

« 3 novembre 1994, désert minéral sur les hauts plateaux boliviens. L'altitude, le froid piquant et un ciel d'une pureté extraordinaire. Les indiens célébraient la veille la fête des morts, aujourd'hui ils attendent avec appréhension la mort du Soleil comme si le macrocosme faisait écho au microcosme, le drame cosmique amplifiant la tragédie terrestre... Pour conjurer le sort, chants et danses, rituels accompagnés de prières et d'offrandes à la Pachamama.
Sur le site d'observation on s'affaire au réglage du matériel. L'excitation est grande et s'amplifie lors du "premier contact" entre les deux astres, lorsque l'ombre lunaire commence à mordre sur le disque solaire. Une heure durant nous observons avec nos filtres le soleil qui disparaît peu à peu tandis que la lumière décline et que la température chute produisant des frissons dans l'assitance. Les yeux s'écarquillent derrières leurs filtres et les mains se crispent sur les instruments. L'atmosphère paraît surréaliste, le paysage prend des teintes irréelles alors que d'inquiétant tourbillons de pourssière sont apparus au loin.
Une tension irrépressible gagne progressivement le site d'observation, elle est à son comble lorsque soudain des cris fusent de toutes parts : L'ANNEAU DE DIAMANT ! L'ÉCLIPSE TOTALE ! Plus besoijn de filtre, chacun peut voir de ses yeux avec stupéfaction, crainte ou émerveillement que le soleil a bel et bien disparu. Étrange jubilation face à ce spectacle ineffable de "la nuit en plein jour". Qu'elle se rapproche de l'angoisse ou de l'enchantement, l'émotion qui étreint tout un chacun possède une saveur totalement inconnue.

Le firmament est le théâtre d'une scène complètement inédite et on a de la peine à réaliser ce qui se joue, tellement le spectacle est insolite : un disque noir trône là-haut, entouré d'une couronne de lumière blafarde sur fond de ciel étoilé où l'on distingue Vénus et Jupiter.
Ravissement, effroi ou les deux à la fois ? Quoi qu'il en soit, c'est la stupeur dans l'assistance, certains savourent ce moment d'éternité dans un silence religieux, mais la plupart ne peuvent contenir leur agitation et réprimer leurs exclamations. Les Indiens fatalistes sont-ils les seuls à implorer le retour de la lumière ? Des astronomes en herbe, pourtant très informés de la mécanique céleste, découvrent peut-être en contemplant leur première éclipse totale qu'une partie d'eux-même échappe à la rationalité qu'ils faisaient encore mine d'afficher sereinement quelques instants plus tôt.
Tout à coup, après environ trois minutes d'une intensité extraordinaire, l'anneau de diamant, flash étoilé, fulgure de nouveau et la lumière renaît instantanément tandis qu'un mélange de soulagement et de déception point dans les commentaires alentours, quelque soit l'idiome dans lequel ils s'expriment.

L'éclipse durera encore environ une heure avant que le soleil ne réapparaisse totalement, mais l'attention n'est plus la même. Les chasseurs d'éclipses encore sidérés par ce rendez-vous cosmique trop bref, pensent déjà à la prochaine totale dans un peu moins d'un an sur le continent asiatique. La plupart des Boliviens présents repartent avant la fin du phénomène. Ils iront retrouver les membres de leur famille qui ont attendu prudemment à l'abri dans leurs maisons de boue séchée : il n'y a pas que les femmes et les enfants qui sont restés ainsi cloîtrés ! »

L'ASTRE NOIR COURONNÉ

24 octobre 1995 à Fathepur, petite localité du Rajasthan en bordure du désert de Thâr. Le calme contraste avec l'agitation de Delhi et de Jaïpur, livrées à la liesse populaire. En effet, par une coïncidence qui ne s'était pas produite depuis 233 ans, une éclipse totale de Soleil correspond à la période de Diwali, fête de la lumière qui célèbre Rama, incarnation de Vishnu, le dieu solaire, et Lakshmi, la déesse de la fortune. Diwali constitue un des plus grands festivals de l'année. Cinq jours durant on allume à la nuit tombée des bougies et des lampes à huile pour célébrer le retour d'exil de Rama. Curieux contraste entre toutes ces lumières sur la terre et le soleil qui s'éteint soudain dans le ciel. Beaucoup de gens qui fêtaient joyeusement la veille au soir sont à présent à l'abri, dans leur maison, à conjurer le sort. Il s'agit d'apaiser Râhu le dragon céleste qui est censé dévorer l'astre durant l'éclipse. De la terrasse où nous sommes installés, nous pouvons entendre venu d'on ne sait où, la mélopée de quelques brahmanes récitant des versets et psalmodiant des mantras. Et tandis que la lumière baisse progressivement la litanie enfle proportionnellement, bientôt accompagnée de percussions obsessionnelles et de vents à la sonorité irréelle.
L'astre noir a attaqué le disque lumineux : sentiment étrange, indéfinissable face à cette situation inédite. La lumière décroît rapidement à présent alors que la chaleur s'estompe et que les Indiens venus de Bombay et Delhi s'agitent fébrilement. L'ordre de la nature est bouleversé et les sens en sont déroutés : couleurs surnaturelles, senteurs étranges, sons incantatoires. Et le mental a beau affirmer rationnellement que le phénomène est naturel, il pressent parallèlement comme une brèche dans la réalité conventionnelle, porte ouverte sur une autre dimension... Le disque solaire de Surya s'est réduit à un fin croissant que nous voyons diminuer encore derrière nos filtres. La litanie s'est transformée en une puissante incantation qui atteint son paroxysme lorsque le dernier éclat, diamant céleste, révèle subitement l'astre androgyne. Silence intérieur parmi les clameurs, immobilité au coeur du tumulte, suspension atemporelle... L'astre noir couronné trône dans un ciel moucheté d'étoiles, voûte surnaturelle comme posée sur un horizon circulaire, aux teintes aurore-crépuscule. Râhula, le dragon astrophage règne au firmament tandis que des millions d'Indiens se baignent dans les fleuves et les bassins sacrés. 52 secondes d'éternité et brusquement l'ombre lunaire s'efface en poursuivant sa course vers l'est.

UNE TROUÉE DANS LES NUAGES

11 août 1999, petit site aménagé à Lassigny dans l'Oise. Les astronomes en herbe sont aussi maussades que le ciel est nuageux et nous hésitons entre rester dans l'attente d'une hypothétique éclaircie, et plier bagage en catastrophe à la recherche d'une météo plus clémente. Nous optons finalement pour la seconde solution peu avant le premier contact et nous ruons à travers la campagne picarde tandis que le disque obscur de la Lune commence à grignoter celui du Soleil derrière une épaisse couche nuageuse. Grappes d'observateurs le long des routes, télescopes inutiles, rouler vers l'ouest en scrutant le ciel avec pour guide la carte de la zone de totalité. Une éclaircie ! arrêt rapide pour évaluer derrière nos lunettes de polymère la surface de l'astre déjà occultée. Le ciel se recouvre il faut repartir. Nous avons roulé longtemps à vue tandis que la lumière déclinait et que l'atmosphère devenait de plus en plus surréaliste avec tous ces chercheurs d'éclipses désorientés dans leurs véhicules. Arrêt final au bord d'un chemin de terre peu avant le second contact. Une brise s'est levée et une nuée d'oiseaux s'envolent soudainement : le fond de l'air effraie. L'ombre de la Lune arrive vers nous. L'éclipse est invisible mais la totalité ne fait aucun doute lorsque subitement une obscurité indéfinissable nous enveloppe et nous refroidit. Fascination des ombres fantasmagoriques devant un horizon à 360° au dessus duquel s'avive toute une palette de couleurs crépusculaires. Est-ce la force de nos vœux ou bien une chance inouïe qui perfore soudain la couche nuageuse ? Quoi qu'il en soit nous défaillons presque de bonheur en constatant que la trouée laisse juste apparaître le Soleil noir auréolé d'une gloire diffuse. La partie extérieure de la couronne se perd dans les nuages produisant un effet lumineux extraordinaire. Quinze seconde, peut-être vingt de félicité, et l'éclipse s'éclipse, fugace derrière le voile grisâtre. Jouir alors des teintes sublimes de l'horizon et savourer en paix ce moment sacré où les luminaires s'unissent au firmament en souhaitant à tous d'expérimenter semblable ravissement. »

Vous commencez sûrement à comprendre, maintenant, tout ce que cela veut dire. Après avoir lu des témoignages d'astronomes, journalistes, écrivains ou simples amateurs, voici ceux d'un collaborateur et ami d'Alain Cirou, Serge Brunier, rédacteur en chef de la revue Ciel & Espace. Il nous livre ici le récit complet de toutes ses expériences de l'ombre de la Lune, 5 au total (entre 1991 et 1998), sans compter celle du 11 août 1999 (mais je sais que ce fut loin d'être sa préférée...). Bonne lecture !

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Itinéraire d'un chasseur d'éclipse, par Serge Brunier

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Témoignages : vécus d'éclipses totales

Mon récit de l'éclipse totale en Alsace en 1999 !

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